Too Generate / 2000

FR / EN

FR

Avec Too generate (2000), qui fait appel à une danseuse (la chorégraphe elle-même) et un musicien, Myriam Gourfink complexifie les données de la partition. Elle continue à « explorer le poids, la lenteur et la respiration », ces « trois facteurs qui interrogent les pré-mouvements, nos ressources les plus enfouies, les plus profondes », pour « initier des micro-mouvements, des micro-changements de direction » et « générer une quantité considérable de gestes ». Elle s’intéresse « aux révolutions intérieures propres à l’interprète et au moment ». Pour cerner cette danse, elle désire « une écriture mouvante, vivante et très précise ». Elle définit plusieurs paramètres qui sont à l’origine d’une danse : les formes (f), la respiration (b), l’orientation du corps dans l’espace (o), les points de focalisation de la pensée (p), la circulation de la pensée (c) et les regards (r). Elle utilise le logiciel LOL pour les calculs utiles à la structuration de la danse :

Je décide […] de calculer un certain nombre de combinaisons (définissant des moments) choisies aléatoirement parmi les combinaisons possibles des six paramètres (f, b, o, p, c, r) en sachant que chaque tirage peut être une combinaison de un à six de ces éléments, qu’une combinaison ne peut être tirée plus d’une fois, et que l’on doit calculer en même temps la valeur de chaque paramètre selon une fonction aléatoire. Pour aller jusqu’au bout de l’idée, je choisis aléatoirement l’ordre des combinaisons possibles. Ceci ne me dispense pas de faire un choix final, ces calculs ne sont qu’un outil de réflexion […].
Pour les valeurs du paramètre « formes » (f), avec dix positions de départ, prises dans le quotidien, et combiné avec les cinq autres éléments, j’élabore deux heures de danse. La première génération de formes en donne une seconde et, de proche en proche, on se retrouve avec un nombre de possibilités de mouvement tendant vers l’infini […]. Une forme est définie par : des parties du corps, des appuis, des directions (ici la direction est considérée par rapport au personnage lui-même), des niveaux, des amplitudes (degré de flexion par exemple), des rotations, un rapport de position entre deux parties du corps, etc. Ces classes sont évaluées pour chacune des dix figures de base. Pour une forme donnée, en modifiant à l’intérieur d’une classe une seule des valeurs, on obtient déjà une nouvelle figure. À ce niveau le recours à l’informatique ouvre grâce à sa puissance de calcul le champ de recherche. Ainsi j’écris une danse dont les exigences ne sont pas inscrites uniquement dans une logique de pratique corporelle. D’ailleurs certains moments sont difficiles à interpréter et laissent sentir une danse mal assurée, une danse humaine.


Dans la partition, on peut lire des indications concernant les parties du corps ou les mouvements habituellement utilisés pour décrire la danse, mais aussi des indications pour la narine gauche, le diaphragme, la pupille, les paupières, l’apnée à plein ou à vide, la contraction du périnée, celle de l’anus, celle de la gorge, etc., les déplacements de la pensée d’un point à un autre et ses focalisations sur un point donné. La partition est mémorisée par segments, qui sont nommés ; chaque segment correspond à une phrase de danse. L’ordre des segments varie à chaque représentation en fonction du lieu scénique. Connaissant bien la partition, Myriam Gourfink décide du nouvel ordre des segments et parvient à les mémoriser juste avant la représentation.
La musique a été composée par Kasper T. Toeplitz en même temps que la danse. Contrairement à la position habituelle des musiciens dans les spectacles chorégraphiques, Toeplitz et l’appareillage musical sont davantage visibles que la danseuse ; ils sont au centre et sur le devant de l’espace scénique. Myriam Gourfink, située derrière une enceinte, est plus ou moins cachée selon le mouvement qu’elle effectue. Parfois, on ne voit que sa tête, ou ses pieds, parfois on la voit en entier. Sa visibilité dépend aussi de la position du spectateur dans la salle. Mais la danseuse est intentionnellement en position de se dérober au regard du public. Le spectateur est ici encore confronté à sa propre exigence et à son propre désir. Il sent bien que les mouvements de la danseuse suivent une nécessité dont il n’a pas les clés. Il est dans une position de témoin, éventuellement actif, mais il n’est pas dans une situation de destinataire. Il doit même entrevoir, imaginer, deviner le mouvement masqué par le haut-parleur. Parfois, il peut être tenté de ne plus chercher à nourrir lui-même son regard. Il y a une fluctuation entre ce qui est vu, ce qui est invisible, ce que l’on renonce à voir et ce que l’on construit. Cela crée littéralement un rythme de la vision qui est le lien entre le présent de la danseuse et le temps d’attention/ attente dont j’ai parlé à propos de Glossolalie.

Geisha Fontaine, Les danses du temps / Moment 7 / Myriam Gourfink : un temps élastique
Edition recherches Centre national de la danse

EN

Weight, Slowness and Breathing. These three factors raise the question of pre-movements. Our most hidden and deepest motor resources. By focusing on these movements, further ones and changes of direction, then called micro-movements, appear. The researching process I apply, including a computer software program I have been working with called LOL*, offers an extensive range of gestures. As a result; the space, the body, the skin, the cells and the living are being thoroughly explored. Each one of them, down to the very last millimetre.
The work around the different postures is being distorted, deteriorated and put out of line by the micro-movements. The passing between two postures is being filled by these actions. The continuous interaction of data (weight/breathing/slowness) creates a kind of general sweeping inside the body as well as in the space around it.This constant flow begets an important, unnameable state of mind shown on the face and the body. Here, we are in a poetic state before language (or after?).
I am interested in the quality of the concentration, the awareness to every psychological and corporeal movement, the performer’s personal inner upheaval and the moment itself.

From the essay, « Too Generate », M. Gourfink / june 2000
Published in Contact quarterly / winter-spring 2003

* LOL was an experiment, I have composed with this software: Glossolalie, Taire, Too Generate, Ecarlate, I have worked with it for the last time for Rare in 2002.

CHORÉGRAPHIE
Myriam Gourfink

MUSIQUE
Kasper T. Toeplitz

DANSE
Myriam Gourfink

COSTUMES
Kova

LUMIÈRES
Silvère Sayag

Created at Fresnoy studio national des arts contemporains in Tourcoing, the 24th of june 2000
Performed at : Desviaciones in Madrid / Vivat in Armentières / Experimental Intermedia Foundation in New-York / La Ménagerie de Verre & ENSBA in Paris / Panacea festivals Stockholm

Production : Loldanse, Fresnoy Studio national des arts contemporains in the frame of the residency of Kasper T.Toeplitz, with the support of « Beaumarchais », la mairie de Paris, CND.