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LOL : un environnement expérimental de composition chorégraphique
La musique, a développé un métalangage qui crée une distance entre la pensée musicale (la composition) et la production du son. Elle peut se penser en dehors du résultat (émission de son), et ceci semble être une grande source d’invention, car il y a musique dès lors qu’il y a pensée musicale, donc en amont de la production des sons. En cherchant un fonctionnement similaire adapté à la pensée de la danse, je me suis intéressée à la Notation Laban. En l’apprenant, il m’a semblé évident qu’en ayant recours aux outils informatiques, il serait possible d’employer ce langage (très structuré), pour la composition chorégraphique et pour l’écriture « a priori » d’une chorégraphie. La danse ce n’est pas du mouvement, c’est cette partition, cet endroit abstrait, cette passerelle immatérielle entre chorégraphe et interprète.
J’ai réalisé avec cette idée d’écriture de la danse un premier solo GLOSSOLALIE (présenté à Courtrai le 14 Septembre 1999 et interprété par Jérôme Bel), dont la phase d’essais des mouvements a été extrêmement courte : trois jours. Habituellement cette phase dite d’atelier, de recherche, ou d’improvisation, dure deux, trois mois voire plus. C’est-à-dire que la plupart du temps le chorégraphe se sert des interprètes pour composer directement. En ce qui concerne GLOSSOLALIE, il ne s’agissait pas de produire des mouvements miraculeux, mais juste de donner matière à l’élaboration d’un langage très personnel, celui de Jérôme. Ne rien jeter, ne pas faire de choix esthétisants, privilégier la structure. Seule, devant trois jours de pages de notes, j’ai eu recours, pour soutenir ma réflexion, aux nouvelles technologies (informatiques) afin, d’effectuer par exemple des tirages aléatoires ou des raisonnements récursifs.
Simplement, je cherchais à définir les paramètres qui pour moi pouvaient être à l’origine d’une danse.
- formes (f)
- respiration (b)
- orientation du corps dans l’espace (o)
- direction des pensées à l’intérieur du corps (i)
- direction des pensées à l’extérieur du corps (e)
- regards ( r )
Alors, trouvant dommage de privilégier dans la composition chorégraphique la forme, l’orientation, et curieuse de savoir ce que pouvait générer des paramètres plus secrets ou moins visibles de l’ordre de la respiration, des pensées, des regards, j’ai décidé, pour structurer la danse, de calculer un certain nombre de combinaisons (définissant des moments) choisies aléatoirement parmi les combinaisons possibles des 6 paramètres (f,b,o,i,e,r), en sachant que chaque tirage peut être une combinaison de 1 à 6 de ces éléments, qu’une combinaison ne peut être tirée plus d’une fois, et que l’on doit calculer en même temps la valeur (trouvée en atelier) de chaque paramètre selon une fonction aléatoire. Pour aller jusqu’au bout de l’idée j’ai également choisi aléatoirement l’ordre des combinaisons possibles.
Pourtant, ceci ne m’a pas dispensé de faire un choix final, ces calculs n’ont été qu’un outil de réflexion. J’ai déchiffré (avec la conscience que ceci devait être dansé) un grand nombre de tirages, et je n’ai pas hésité à recomposer certains passages.
Alors nous avons commencé à réfléchir à la conception d’un logiciel d’écriture de la danse – LOL -, en collaboration avec Frédéric Voisin (informaticien, assistant musical et ethnomusicologue qui travaille à l’IRCAM), de Laurence Marthouret (chorégraphe qui a fait le cursus Notation Laban au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris) et de Kasper T. Toeplitz (compositeur). Il s’agit d’inventer un outil, dont la vocation est d’écrire le mouvement et de composer une chorégraphie « a priori » et non pas de noter une danse déjà existante.
Très vite nous avons réalisé un « début de logiciel », je l’ai utilisé pour l’écriture « a priori » d’un second solo interprété par Laurence Marthouret : TAIRE créé à Lucca (Italie) le 27 novembre 1999. Cette fois la phase « atelier » est presque nulle, avec dix formes de départ, prises dans la vie quotidienne, j’élabore deux heures de danse. La première génération de formes en donne une seconde et, de proche en proche, on se retrouve avec un nombre tendant vers l’infini de possibilités de mouvements. Ceci est possible, en analysant chaque forme de départ selon la logique et la structure du langage Laban, organisé par classes. Une forme est définie par : des parties du corps, des appuis, des directions, des niveaux, des amplitudes (degré de flexion par exemple), des rotations, un rapport de position entre deux parties du corps, un contact etc. Ces classes sont évaluées – dans LOL – pour chacune des dix figures de base. Pour une forme donnée, en modifiant à l’intérieur d’une classe une seule des valeurs, on obtient déjà une nouvelle figure. À ce niveau le recours à l’informatique ouvre grâce à sa puissance de calcul le champ de recherche.
Pour TAIRE, j’ai choisi à l’aide de LOL, sans essai préalable du mouvement, vingt-six formes. Laurence Marthouret les a transcrites en Notation Laban, puis nous les avons marquées sur le sol comme vingt-six points épars. Laurence Marthouret utilise le sol comme une partition, se déplace de point en point, invente les passages, le moment. Ces formes pré-déterminées ne sont que quelques stimuli dont l’interprète se sert pour formaliser son propre langage, le dispositif l’invitant à essayer un nombre infini de trajectoires.
LOL n’est pas un logiciel formaté selon les limitations anatomiques du corps humain. C’est le chorégraphe qui doit imaginer les contraintes corporelles, c’est lui qui invente le corps qu’il veut faire danser. Ainsi le chorégraphe s’il le désire peut travailler avec le paramètre « pensées » et traiter « pensées » comme une partie du corps. Il choisit pour « pensées » une « direction », « un niveau », « un contact », il évalue « pensées » dans LOL comme il le ferait pour « pied droit » ou « main gauche ». Aujourd’hui, il est difficile de réduire l’art chorégraphique aux possibilités physiques du corps humain – pour les raisons précitées : envie d’utiliser des paramètres plus subtils tels que « direction des pensées à l’extérieur du corps » par exemple.
Je pense que la première chose que le chorégraphe envisage c’est l’espace. C’est cet espace – inventé par le chorégraphe – qui pense le corps, le rapport entre les corps ou entre les objets, les mots etc. Pour la conception de cet espace chorégraphique, LOL est comme un partenaire qui suggère des calculs, invite à l’exploration. L’idée est de permettre au chorégraphe de rebondir sur de nouveaux problèmes afin de penser la danse autrement.
En utilisant cet embryon de logiciel, j’ai pu remarquer que la simple lecture des résultats me renvoie à des perceptions très précises. Alors au fur et à mesure, mes désirs initiaux s’affinent, un langage se façonne.
Je ne défends pas une écriture rigide de la danse, si pour moi la pensée est au centre du processus chorégraphique, penser ne veut pas dire élaborer une série d’indications inflexibles et obsolètes qui embrigadent les corps. La partition, le dispositif est une proposition soumise à la sensibilité de l’interprète, une incitation à une certaine élasticité.
Myriam Gourfink
Traduit de l’article Choreographic Questionings, a presentation of a research by Myriam Gourfink / Published in Contact quarterly / winter-spring 2003
* LOL était une expérimentation, j’ai composé avec ce logiciel: Glossolalie, Taire, Too Generate, l’Ecarlate. Je l’ai utilisé une dernière fois en 2002 pour composer Rare.
EN
(…)
I wrote a first solo called Glossolalie (1999) for dancer Jerome Bel. The research stage for the movement was extremely short : three days. As far as Glossolalie is concerned, we did not intend to create miraculous movements but only to give shape to Jerome’s very personal language. Nothing was rejected, we did not want to make any aesthetic choices, we just wanted to favour the structure.
I thought it was unfortunate to favour form and orientation in the choreographic composition and I was curious to know what the most hidden and least visible parameters present – in breathing, thoughts, regards – could generate. So I decided to structure the dance by calculating a few combinations (defining moments) chosen randomly from the possible combinations of 6 parameters (form,breathing,orientation,direction of thoughts inside the body, direction of thoughts outside the body,regard). To go further in this direction, I also randomly chose the order of the possible combinations.
However this did not keep me from making a final choice. I deciphered (knowing that this would be danced) a great deal of random draws and I did not hesitate to rewrite some of the passages.
From there I started to conceive of a dance-writing software LOL with the help of Frederic Voisin (computer scientist and ethnomusicologist at IRCAM in Paris), Laurence Marthouret (choreographer and Labanotator) and Kasper T. Toeplitz (composer). We intended to invent a tool to write movement, to be used to compose an a priori choreography, rather than to notate an already existing dance.
With an early version of LOL, in September 1999, I wrote a solo, Taire, for Laurence. I used LOL to choose 26 body shapes, obtained by a random combination of classes, without trying it on the body first. Laurence translated them into Labanotation, which we marked on the floor as 26 scattered points. Then, using the floor as a score, she moved from one point to another, inventing the pathways and the movement. The predetermined shapes are simply a stimulus for the performer to give shape to her own language, as the device gives her the opportunity to try out an infinite number of trajectories.
Choreographic Questionings, a presentation of a research by Myriam Gourfink / Published in Contact quarterly / winter-spring 2003
* LOL was an experiment, I have composed with this software: Glossolalie, Taire, Too Generate, Ecarlate, I have worked with it for the last time for Rare in 2002.
CHORÉGRAPHIE
Myriam Gourfink
MUSIQUE
Kasper T. Toeplitz
DANSE
Jérôme Bel
COSTUMES
Kova
Created at Limelight in Courtrai, the 15th of september 1999
Performed at : Podewil in Berlin / Fondation Cartier & La Ménagerie de Verre in Paris / Le Consortium in Dijon
Production : Loldanse & Jérôme Bel
TAIRE
CHORÉGRAPHIE
Myriam Gourfink
MUSIQUE
Kasper T. Toeplitz
DANSEUSES
Laurence Marthouret or Myriam Gourfink
LUMIÈRES
Silvère Sayag
Created at Strade Contemporanee in Lucca, the 27th of november 1999
Performed at : La Fundicion in Bilbao / Le Centre National de la Danse in Paris / Panacea festivals Stockholm / CCN de Montpellier
Production : Loldanse, with the support of CND