Corbeau / 2007

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Quel en est le point de départ de la pièce « Corbeau » ?
L’idée initiale est de faire un solo pour une danseuse classique. J’avais envie de travailler uniquement à la verticale, sans jamais aller au sol, en utilisant un vocabulaire dirigé et enrichi par cette verticalité. J’ai rencontré Gwenaëlle Vauthier, qui est quadrille à l’Opéra de Paris. Elle est très concentrée, très intériorisée, et correspond vraiment à ma démarche. Dans le solo, je souhaite également exploiter ce que j’appelle « la pression sur l’air ». Je développe une écriture utilisant toutes les nuances des contractions musculaires. Je me confronte à l’air qui nous entoure, au prolongement de notre corps dans l’air, et j’écris à partir de cette sensibilité-là. La pièce est intitulée « Corbeau ». C’est vraiment l’oiseau noir qui m’intéresse, dans la référence à la danse classique, mais aussi dans ce rapport à l’air. Sauf que je préfère le corbeau noir au cygne blanc ! Le « corbeau » est aussi une posture de yoga que j’aime beaucoup, dont les appuis sont seulement sur les mains.

Qu’est-ce qui vous semble spécifique dans la conception du solo et dans le travail avec Gwenaëlle Vauthier ?
La technique classique permet de développer certains appuis, de connaître aussi comment les forces s’annulent, par exemple en levant une jambe. On est en équilibre, mais, dans la lenteur qui caractérise mes propositions, le travail de l’équilibre est multiplié par dix. Pourquoi ne pas jouer, sciemment, avec ce qu’on appelle les clichés de la danse classique ? Cette partition dédiée à l’équilibre se construit énormément sur l’écoute, vécue comme le centre de la perception. Je cherche à construire l’espace autour du danseur comme un espace sonore. Et j’imagine la danseuse dans un cylindre, entourée de quatre « couches » : proche, moyenne, éloignée et très éloignée. Chaque couche est un « espace consacré » dans lequel le corps voyage, une sorte de bulle élastique. La partition peut par exemple demander à la danseuse de se mouvoir pendant un certain temps dans la couche proche. Il s’agit d’espaces définis, matérialisés à différentes distances du corps et des articulations. Par ailleurs, je modifie le rapport au public en demandant à Gwenaëlle de danser à deux ou trois mètres des spectateurs, de cour à jardin. Ils percevront de façon fine comment elle prend ses appuis, comment elle respire.

Comment ce solo s’inscrit-il dans votre parcours ?
Il s’inscrit bien sûr dans une suite. Mon travail sur la lenteur devient de plus en plus pointu. Mon histoire a commencé par l’approfondissement des postures, puis par celui des articulations et maintenant j’en arrive à une période où je m’intéresse aux muscles. Je dissèque de plus en plus comment on prend un appui, que ce soit sur le sol ou sur l’air. Je peux presser sur l’air et je peux donner une direction à cette pression. Qu’est-ce qui se construit dans le corps par rapport à ça ? Je développe la sensation d’être fondu dans l’air, j’observe une dilution très étrange des atomes de l’air avec les atomes de l’être. Je m’attache davantage à ce qui est ténu dans mes propositions. C’est ce qui donne matière à de nouvelles compositions, à celle de « Corbeau » notamment. Mais pour ce solo, la première image, c’est l’oiseau. Et je pense que cela rejoint une forme d’errance. Autant le sol est défini, autant l’air accompagne quelque chose de l’errance, de la perte de soi, de l’acceptation de ne pas savoir où l’on va.

Propos recueillis par Geisha Fontaine le 12.07.07 / La Lettre de Kinem#9 septembre-décembre 2007

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In Corbeau (“Crow”), Myriam Gourfink takes to task for the first time the virtuosity of ballet, all the while pursuing her research on extreme slowness. For this solo she has worked with Gwenaëlle Vauthier, dancer at the Ballet de l’Opéra national of Paris. The choreographer explains that the title’s dual purpose is a play on the words “corps beau”, French for “beautiful body”, as well as a confrontation of the tendency to over-represent white birds in ballet, manifesting the black bird’s equally graceful existence.

“The idea is to base the choreography on the dancer’s ability to elevate her legs, in order to focus on an area which is rarely accessible with contemporary dancers. I want to work on a dance playing on the extremely slow unfurling of the dancer’s four limbs through space, thus imparting form to that space by embarking along subtle, unexpected directions, created by the projection of the dancer’s body inside spherical volumes, and by accepting the 360 degrees of the circle as an arena of limitless sensorial possibilities.

Most of the time, the dancer will be supporting herself using a single leg, and the surrounding environment into which the rest of her body has to extend, is made of air. For me, the poetic force will reside in each atom of air she touches inside the spheres. I see her members as feelers for her feelings that she strives to fashion from the surrounding area.

The spheres architecture, such as I imagine it for this project, and the idea of extending the body to its furthest limits into the environing air, are closely linked to the music spaces created by Kasper T.Toeplitz (the composer) and even partially derive from them. I am fascinated by the spaces they render for dancing: peripheral spaces whose fuzzy edges are defined by the range covered by the sound. The story about Chinese emperors who scaled their palaces according to the range covered by a sound produced in a central point, has become my story. Starting from the immateriality of a space created by sound vibrations, from its elasticity spanning from miniscule to infinite, I create ‘bubbles’ of spheres into which
the body extends itself.”

CHORÉGRAPHIE
Myriam Gourfink

MUSIQUE
Kasper T.Toeplitz

DANSEUSES
Gwenaëlle Vauthier

TAMS
Kasper T.Toeplitz

DURÉE
30 min

Created at Centre National de la Danse in Pantin, the 12, 15, 16, 17, 18, 19th of October 2007
Performed at : espace Pier Paolo Pasolini in Valenciennes, ADC in Geneva, MC2 in Grenoble, TCI in Paris, Théâtre de Saragosse in Pau, BIT Teatergarasjen in Bergen

Coproduction: Loldanse, Centre national de la danse – Pantin (creation in residency).
Avec l’aimable autorisation du Ballet de l’Opéra national de Paris.
Loldanse is supported by the direction des affaires culturelles d’Ile- de-France – Ministère de la culture et de la communication