Conférence : Inscrire le mouvement

Myriam Gourfink présente ses recherches portant sur le temps et la composition.

La chorégraphe développe depuis 1996 un travail qui explore la question du temps, un temps dansé délibérément élastique, sans scansion ni événement – un temps lisse, continu, suspendu. Ce refus de l’intempestif a pour conséquence qu’aucune action ne vient ni accrocher ni perturber le regard du spectateur, lequel peut même, subrepticement, avoir l’impression que rien ne change tant la danse est lente. Mais il suffit qu’il tourne la tête, quitte la danse un instant, et lorsqu’il y revient, il découvre un tout autre paysage : il prend alors la mesure de la transformation qui s’opère non seulement chez le danseur, mais aussi, au-delà, dans son propre environnement – physique, mental, sensible. L’ultime but du travail de Myriam Gourfink est d’incarner le passage, la transition.

Entre 2017 et 2019, l’attention de Myriam Gourfink s’est plus particulièrement concentrée sur l’observation des flux, c’est-à-dire les multiples et incessantes circulations qui s’activent en nous et s’engendrent de la relation que nous tissons, malgré nous, avec ce qui nous environne ; une progression de la perception qui advient dans le corps en fonction de nos relations avec l’espace et avec l’autre. Myriam Gourfink considère la pratique du yoga comme une opération de composition à part entière. En effet, les techniques de yoga permettent la maîtrise du flux en l’éveillant, en le libérant, en le fixant, en le dirigeant et en l’harmonisant : elles augmentent la fluidité, dissolvent les endroits de rigidité, et avivent un sentiment d’unification et de cohérence interne.

Pour stimuler la perception d’une alliance corps/esprit chez l’interprète, Myriam Gourfink utilise également la cinétographie Laban, en tant que discipline de discernement, qui permet l’analyse et l’ordonnancement des paramètres du mouvement selon une classification catégorielle. La cinétographie Laban propose en effet des notions contenant des ensembles de paramètres, évalués selon un certain nombre de variables précis – ce qui confère au système une élasticité permettant d’évaluer les paramètres de façon floue. Composer à partir des notions et spectres de la cinétographie Laban donne à la chorégraphe la possibilité d’envisager des ensembles de probables, à partir desquels elle formalise des partitions ouvertes, qu’elle présente ensuite à l’interprète.

Les indications de ces partitions ouvertes sont choisies précisément, en fonction des enjeux de chaque projet, afin de prévoir, paradoxalement, la marge d’indétermination : de définir l’ambitus d’imprédictibilité. Cette démarche remet en question la suprématie du chorégraphe, en déléguant aux interprètes une part de responsabilité dans le processus du choix : les partitions ouvertes opèrent ainsi un déplacement éthique en interrogeant, dans leur structure même, les statuts d’auteur et d’interprète. Les partitions ouvertes amènent les interprètes à faire des choix de composition qui portent soit sur la microstructure (c’est le cas de Déperdition, Une Lente Mastication, Souterrain, Amas, À-Plat, Évaporé, Résidu, Glissement d’infini, Structure Souffle) – soit à la fois sur la microstructure et la macrostructure (Ecarlate, Contraindre, This my House, Les Temps Tiraillés, Bestiole ). Dans les deux cas, l’inattendu survient dans un cadre précis : les opérations et leurs portées sont définies en amont. Il s’agit de jouer non avec le hasard, mais avec les données du hasard, qui sont elles précisément choisies et définies.

Le développement artistique de la chorégraphe est bien sûr indissociable de son activité de recherche qui porte sur la composition en danse. Ainsi la conférence fera aussi état d’un projet à long terme mené avec Yvane Chapuis et Julie Perrin : « La composition chorégraphique aujourd’hui : quels outils pour quelles positions artistiques ? », lequel a obtenu de 2016 à 2019 le financement du département Recherche & Développement de la Manufacture de Lausanne. Les premiers résultats de ce travail de recherche sont publiés dans le livre Composer en danse. Un vocabulaire des opérations et des pratiques (Les Presses du réel, Collection Nouvelles Scènes : Manufacture, parution le 13 décembre 2019).