Aranéide / 2013

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Lévitation articulaire
Le Manège de Reims présentait, les 14 et 15 février, la dernière création de Myriam Gourfink : Aranéide. Suspendue au cœur du cirque de pierre, la pièce y déroule un rituel du temps présent qui saisit et sidère.
Par Marie-Juliette Verga / publié le 20 févr. 2013

Déposée sur les limites d’une toile de câbles noirs, Clémence Coconnier officie hors de l’espace et du temps quotidien et entraîne le spectateur au-delà de la représentation. La pénombre et le son accueillent le participant que chaque vibration de l’air accompagne vers un état de perceptions amplifiées. Le dispositif tout entier repose sur cette conviction profondément éprouvée : le corps est poreux, tout autant présent à ses événements internes qu’à l’espace qu’il habite. Le dispositif est d’une simplicité radicale. Les éclairages subtils de Séverine Rième, descendus des voûtes ou diffusés à partir du sol, donnent à voir la matière même de l’air. Tout à côté, des hauts-parleurs restituent une composition immersive jusqu’à être inclusive. Présence tutélaire, Kasper T. Toeplitz, révélé par la lumière ténue de ses machines, informe l’air commun. La musique entre en résonance et submerge, bouscule, apaise. Elle semble capable de soutenir le corps en apesanteur, d’agir sur la surface de la peau qui, à son tour, renvoie la musique comme elle renvoie la lumière.
Construite sur le fil du souffle, la partition de Myriam Gourfink amène la trapéziste-danseuse à explorer au plus près les points de contact de ses cellules aux molécules de l’air. Sur l’entrelacs de câbles tendus, Clémence Coconnier déploie et concentre l’infini des appuis possibles en un mouvement que rien ne pourrait interrompre. Et l’infime créature, soudain, dans un pas de deux avec la pression atmosphérique, emplit jusqu’au débord le monument circulaire.
Comme toujours lorsque Myriam Gourfink dirige, les gestes s’étirent de leur point d’origine à leur fin, et même un peu au-delà. La danse naît d’un attachement à saisir ce frémissement : la naissance interne d’un mouvement. Chaque vertèbre s’articule tandis que l’on découvre les multiples ouvertures d’un pied, d’une ligne d’épaule, les plis nichés au creux du bassin.
La structure de Pierre-Yves Guillaumin permet d’aller plus loin encore. Le voyage se poursuit sous la zone d’appui et, lorsqu’un bras se laisse happer par la gravité, il ne tombe pas mais s’étire d’un point dissimulé sous l’omoplate à l’après de la pulpe des doigts. Un seul geste, qui contient celui qui précède comme celui qui suit, agit l’espace autour. Masse mouvante en perpétuelle mutation, le corps est (dé)figuré. Instabilité de la forme, rapports d’échelle saisissants, nous sommes loin de la verticalité identitaire.
Une vibration commune baigne la danseuse en lévitation simulée et – lorsque le charme agit – le cercle des spectateurs. Telle l’araignée en sa demeure, la danseuse reçoit. Les regards se perdent dans la continuité de son flux. Les sensations habituelles sont alors brouillées, délicatement fragmentées. Puis cela se rassemble. Aranéide est une pièce qui se perçoit, sans que l’on sache si on a vu – entendu – su ou touché. Hors de la figuration, hors de la narration, certains résistent, s’ennuient, s’angoissent. Alors ils tentent de rompre le sortilège, d’échapper au rituel, ils sont bruyants et détachés, absents à ce qui se joue en et devant eux.
L’attention portée aux particules élémentaires étire le temps. Les 45 minutes pourraient être une nuit entière et cela floute la notion même de représentation. Il s’agit plutôt d’une expérience sensuelle autant qu’intellectuelle. Elle induit une attention illimitée à une partition complexe qui contraint Clémence Coconnier à explorer son intense plasticité, à ouvrir des espaces recherchés, à être rigoureusement libre. Au culte de l’urgence qui blesse nos époques, Myriam Gourfink oppose l’éternité contenue dans une heure.
Ils sont rares et précieux les êtres qui négligent la recherche du pouvoir et exigent la construction d’une puissance. Artiste démiurge qui tord les contours du temps, Myriam Gourfink donne à éprouver la force d’un corps en travail. Son approche n’est pas celle des faiseurs de spectacles, elle creuse et gratte, accompagnée de collaborateurs dont l’engagement paraît infaillible. Une strate après l’autre, son travail attire l’attention sur des espaces plus grands – ceux de la peau, du volume des corps, de l’air et des vibrations sonores ou lumineuses – des liens plus consistants entre espaces internes et extérieurs – des relations concrètes des uns aux autres. Assister au rituel peut être troublant, déstabilisant mais cela n’est en aucun cas inaccessible. Il s’agit d’une invitation. Invitation à partager l’état de perception augmentée offert – à explorer l’immensité des territoires communs et individuels – à conserver un peu de cette dilatation lorsque la pièce prend fin.

EN

 

CHORÉGRAPHIE
Myriam Gourfink

MUSIQUE
Kasper T.Toeplitz

TRAPÈZE
Clémence Coconnier

LUMIÈRES
Séverine Rième

TECHNICIEN D’ACCÈS SUR CORDES
Pierre-Yves Guillaumin

CONCEPTION DU HARNAIS
MBTA

Créée au Manège de Reims the 14, 15th of february 2013
Repeat at : Centre Pompidou Metz the 3 rd of april 2013

Production : LOLDANSE, Le Manège de Reims Scène nationale, King’s Fountain.
LOLDANSE is supported by le ministère de la culture et de la communication, DRAC Ile-de-France, au titre de l’aide à la compagnie.